Ceci est la retranscription de l’allocution prononcée par le philosophe Bernard-Henri Lévy en clôture de la Convention nationale du Crif, dimanche 18 novembre. Il exprime, dans ce long texte, fouillé et argumenté, pourquoi la colère, en République, ne saurait avoir tous les droits. Et les très grandes réserves que lui inspire ce mouvement.

Je vais vous parler de ce qui s’est passé, hier, en France.
Je vais vous parler des Gilets jaunes – parce qu’il s’agit bien, dans cette affaire, comme dans le titre de votre Convention, de l’idée que l’on se fait de la République.

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Trois remarques préliminaires.
La première, c’est qu’il s’est, là, incontestablement passé quelque chose.
Les commentateurs ont beaucoup dit qu’un mouvement auto-organisé, sans revendication claire, agrégeant des mécontentements contradictoires, accouche forcément d’un non-événement.
Eh bien, je ne le crois pas.
Car ce schéma (agrégat de revendications, chacun sa colère et, pourtant, tous ensemble…) c’est très exactement ce dont parle Sartre quand il décrit le passage, en particulier chez les sans-culottes de 1789, du «groupe sériel» au «groupe en fusion».
Et le groupe en fusion, ce groupe où, comme son nom l’indique, les identités, les origines, les intérêts éventuellement contradictoires, fusionnent et forment un seul corps que l’on dirait animé d’une âme et d’une volonté propres, Sartre est très clair là-dessus : c’est le groupe par excellence ; c’est un acteur politique majeur et à part entière ; et son apparition est, presque toujours, le commencement d’un Événement avec majuscule et de longue portée.
Donc, oui, l’apparition des Gilets jaunes est un événement de cette nature.
On peut le tenir pour un événement détestable. Il peut charrier – je vais y venir – des relents politiques et idéologiques qui vous déplaisent profondément. Mais c’est un événement. Et il serait déraisonnable de parier sur le contraire et de le traiter par le mépris.
Deuxième remarque préliminaire.
Ce mouvement est aussi, à l’évidence, un appel de détresse.
Un gilet jaune, tous les automobilistes de France et de Navarre le savent, c’est ce gilet à bandes fluorescentes que la Sécurité routière exige, depuis dix ans, que nous ayons tous dans nos voitures pour, en cas de panne ou d’accident, pouvoir, depuis le bas-côté, rester visible et faire de cette visibilité même un appel de détresse vivant.
Eh bien, il faut prendre au sérieux le fait que les Gilets jaunes aient choisi ce signe de ralliement.
Il faudrait faire une phénoménologie du Gilet jaune comme Sartre faisait une phénoménologie des pantalons à rayures des sans-culottes ou comme Roland Barthes aurait peut-être pu le faire dans une de ses Mythologies.
Et, avant de s’intéresser au fait que les Le Pen et Mélenchon y voient une divine surprise, avant de se demander quelle est la proportion de ces protestataires et laissés-pour-compte qui ont voté, ou qui voteront, pour les deux partis de la France populiste, il faut dire ceci.
Les Gilets jaunes sont des accidentés de la mondialisation.
Ce sont des femmes et des hommes en panne de travail, de reconnaissance, de respect.
Et ce choix du Gilet jaune est une façon de lancer, depuis la nuit des déclassés, un signal de détresse, un appel au secours, un SOS.

Et puis troisième remarque préliminaire : cet appel au secours, ce SOS, il faut impérativement, je dis bien impérativement, et, quelles que soient, encore une fois, les récupérations dont il sera ou est déjà l’objet, l’entendre et le recevoir.
C’est le devoir du pouvoir politique et, d’une manière générale, de ceux que l’on appelle les élites, ou les nantis – en gros, les bobos qui n’ont pas trop à s’en faire pour le prix du diesel puisqu’ils roulent en trottinette dans un Paris qui se convertit, peu à peu, à l’écologie et qui a été, par ailleurs, en grande partie vidé de ses pauvres. Car, pour changer de registre et passer de la sécurité à la météo, l’alerte jaune n’est qu’une alerte de premier degré. Après quoi, vient l’alerte orange. Puis, l’alerte rouge. Et, alors, quand vient l’alerte rouge, il est trop tard, le tissu social s’est déchiré et les plus démunis n’en peuvent réellement plus.
Et c’est accessoirement le devoir de ceux qui sont ici ce soir. Car, s’il y a bien une chose que nous a enseignée notre histoire millénaire, c’est la nécessité de se montrer fidèle à cette âpre, difficile, mais essentielle leçon exprimée, comme vous savez, par le verset : «Vous connaissez l’âme de l’étranger.» Or l’«étranger», ça veut dire le migrant. Mais ça veut dire aussi l’exclu. Et ça veut dire encore celui qui n’en peut tellement plus, qui est tellement à bout de forces, qu’il est devenu comme étranger à lui-même et dans sa propre maison.
Il faut donc entendre ce sentiment, fondé ou non, d’abandon et de délaissement.
Il ne faut surtout pas dire : «cachez ce peuple que je ne saurais voir».
Ou : «virez-moi ces Gilets jaunes qui ne sentent pas bon le diesel».
Le pire, le plus grave et, pour la société tout entière, le plus suicidaire, serait de faire comme si l’on n’avait pas entendu.

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Alors, cela étant dit, j’en viens à l’essentiel.
J’ignore ce que sera l’avenir de ce mouvement – ni, même, s’il en aura un.
Mais, à toutes fins utiles, je veux, ici, ce soir, formuler trois mises en garde.

La première, c’est qu’à côté de la détresse il y a la colère et que la colère, quand elle entre en politique, devient quelque chose de beaucoup plus compliqué.
Pour le dire vite, il y a des colères magnifiques, généreuses, qui grandissent les hommes et les peuples – et il y a des colères noires, nocives, qui tendent à les abaisser et sont de nature à nourrir ce qu’il y a de pire dans leur mémoire.
La différence ?
Les Grecs avaient deux mots pour dire la colère. Il y avait, d’un côté, la bonne colère qui se disait «orgè» : c’est la colère d’Achille «plus douce au palais que le miel»; ou c’est celle dont Aristote dit, dans L’Éthique à Nicomaque, qu’elle est «provoquée par l’injustice» – on dirait, aujourd’hui, «l’indignation». Et vous avez l’autre colère, la mauvaise, qui se disait «thumos» et qui était celle, par exemple, de l’horrible Calliclès de Platon ; ou celle dont Chrysostome expliquera que, si Dieu l’a enfermée dans la cage de notre poitrine, c’est parce qu’elle est «comme une bête féroce qui, sans cela, nous lacérerait» – en langue moderne, cette seconde colère peut se dire «ressentiment».
Les Juifs, eux aussi, avaient deux sortes de colère qui, traduites dans la langue des Septante, retrouvaient, comme par hasard, les deux mêmes mots grecs. D’un côté, la colère d’Adonaï ; celle des prophètes ; plus tard, celle de saint Paul exhortant les anciens Juifs devenus chrétiens à ne pas «laisser le soleil se coucher sur leur colère» ; en un mot, c’était cette généreuse colère que Nietzsche, dans un passage célèbre d’Aurore, appelle une «sainte colère» et dont il fait vertu aux Juifs, puis aux chrétiens, d’avoir transmis au monde la «sombre majesté» afin qu’elle éclipse la tiède et molle colère de ceux qu’il appelle les courroucés de «seconde main». Et puis, de l’autre côté, vous avez cette autre colère dont Le Livre des Proverbes dit qu’elle est le fait du «fou» qui «expire tout son souffle» ; celle des Égyptiens qui, au lieu de comprendre du premier coup, comme Aron, qu’on ne peut, en frappant la mer, qu’en faire sortir des grenouilles, frappent, frappent encore, cognent comme des sourds et dont les coups n’ont pour effet que de provoquer un déferlement de grenouilles dans tout le pays ; celle, encore, du roi Hérode décapitant les nouveau-nés de Bethléem ; bref, cette odieuse, cette absurde, cette criminelle colère qui détruit tout, et d’abord l’intelligence et dont le Talmud dit, pour cela, qu’elle est soit un Golem soit un des noms de l’idolâtrie.
Et, quant aux Modernes, il suffit de prendre un grand texte classique comme le Traité des passions de l’Âme de Descartes qui me semble plus subtil, sur ce point, que Spinoza et qui dit, lui aussi, qu’il y a colère et colère. D’abord la bonne, la saine, la juste colère qui – je cite – possède la triple propriété d’être : a) brève ; b) fondée sur l’amour et l’empathie ; c) de nature à élever l’âme qui en est le siège et le sujet. Et ensuite, à l’article suivant du Traité, l’article 202, il y a cette autre colère qui a, selon Descartes, la triple et inverse propriété d’être : a) longue et même interminable ; b) issue, non de l’empathie, mais de la haine de l’autre et, bien souvent, de soi ; c) de nature à assombrir, abaisser et corrompre l’âme du sujet.
Eh bien il en va de même en politique.
Il y a la colère qui élève et il y a la colère qui abaisse.
Il y a la colère qui fait que l’on se veut et se sent plus solidaire, plus fraternel, ouvert aux autres – et il y a celle qui vous enferme en vous-même.
Il y a la colère qui, hier contre les agioteurs spéculant sur le froment, aujourd’hui contre les spéculateurs qui manipulent les prix du pétrole, défend le bien public et, non contente de défendre le droit, invente même de nouveaux droits – et il y a la colère qui se moque du droit, qui se fiche du bien public et qui n’a que faire de la République.
Alors où va, de ce point de vue, la colère des Gilets jaunes ?
Je n’en sais rien. Mais quand je les vois casser, bloquer, s’introduire dans une préfecture et songer à la saccager, quand je vois certains d’entre eux insulter celles et ceux dont la tête ne leur revient pas et incendier des voitures comme on le faisait dans les émeutes de novembre 2005, quand je les entends enfin, quand je les entends vraiment, quand j’entends la tonalité nihiliste de certaines de leurs revendications, j’ai les doutes les plus sérieux.

Deuxième remarque : le peuple.
Est-ce que ce n’est pas, dit-on, le peuple qui s’exprime là ?
Et n’avons-nous pas, en démocratie, le devoir sacré de nous ranger du côté du peuple ?
Eh bien, oui et non.
Et je crois qu’il faut avoir le courage, une bonne fois, de dire et marteler que la démocratie, c’est la souveraineté du peuple, le respect de ses volontés, etc. bien sûr – mais pas seulement.
D’abord, cela va de soi, parce qu’il arrive au peuple de s’égarer et qu’il convient, dans ce cas, de le sanctionner comme on le ferait pour n’importe quel autre souverain.
Mais aussi parce que la démocratie, c’est bien d’autres choses que le seul respect de la voix du peuple majoritairement exprimée. Et ces autres choses, ces autres commandements, ces autres grands principes qui font qu’on vit, non sous un despote, mais en démocratie, le peuple souverain se doit, là aussi et dans la mesure même où il est, je le répète, le Souverain, de les respecter avec scrupule. Par exemple ? Eh bien, par exemple, les droits du reste du peuple et, en particulier, des minorités à exister aussi. Ou l’assurance, donnée à chacun, de ne jamais être mis en position d’apparaître comme un «ennemi du peuple». Ou encore des principes aussi élémentaires que la possibilité de circuler, de s’exprimer librement ou d’écouter des journalistes à qui il est permis de faire leur travail correctement…
Les Grecs avaient, de nouveau, deux mots différents pour dire «le» peuple. Ils avaient le «démos » qui était le peuple de la démocratie. Et ils avaient l’«ochlos» qui était ce peuple qu’ils disaient informe, animé par l’ubris et semblable à un mauvais souverain avec lequel il n’y avait aucune raison, je le redis, de ne pas être aussi sévère qu’avec les souverains habituels, c’est-à-dire les rois, les tyrans ou les profiteurs du peuple estampillés comme tels.
La pensée juive, c’est la même chose. Elle a le plus grand respect pour le peuple pour autant qu’il n’abuse pas, lui non plus, de sa souveraineté et pour autant, par exemple, qu’il respecte les règles édictées au Sinaï. Mais l’autre peuple, celui qui ne respecte rien que lui-même, celui qui dit «on est le peuple et, parce qu’on est le peuple, on a tous les droits, absolument tous, à commencer par celui d’enfreindre la Loi», eh bien ce peuple-là, chers amis, je me permets de vous signaler que c’est contre lui que se déchaîne la sainte colère de Dieu. Il y a une histoire qui le dit très bien et que vous connaissez toutes. C’est l’histoire, dans L’Exode, de Korah, ce cousin germain de Moïse, car fils d’Itshar, fils de Kehat, fils de Lévi, que l’on appelle, en français Coré et qui, profitant d’une énième absence de Moïse, reparti sur la montagne mener sa énième négociation avec Dieu, mobilise quelques centaines d’hommes ; les excite contre ces satanés Moïse et Aron qui se sont octroyé tous les pouvoirs ; et leur dit «vous qui êtes ici, au pied du mont, vous les tribus d’Israël qui vous trouvez assemblées, vous qui êtes dans la détresse et n’en pouvez plus d’attendre que Moïse ait fini de délibérer avec lui-même, vous devez savoir que toute l’assemblée est sainte». Eh bien, nous savons, nous, comment l’histoire finit. Moïse, découvrant le putsch et démasquant ces gens qui pensent qu’il suffit d’être une assemblée pour que cette assemblée soit sainte, accomplit le miracle le plus fou de la Torah puisqu’il obtient de Dieu, pour réparer le crime, une bria hadacha, un événement qui ne s’est jamais produit et qui marquera, en même temps que sa victoire, l’énormité du crime qu’il souhaite sanctionner – il obtient que s’ouvre une bouche de la terre et que, comme dans une Création à l’envers, elle engloutisse, tout cru, et tout vivant, Korah…
Et, quant à la pensée moderne du politique, elle a toujours pris le plus grand soin, elle aussi, de distinguer entre les mouvements populaires qui contribuent au pacte social et ceux qui, comme dans l’Introduction au Léviathan de Hobbes, le brisent et le rendent, soit caduc, soit invivable. L’exemple le plus célèbre, ce sera, bien sûr, ces sans-culottes exaltés par Sartre quand il fait sa théorie du groupe en fusion. Mais il sait très bien, Sartre, que la bonne lave finit toujours par se figer et le bon groupe en fusion par dégénérer en ce qu’il appelle la «Fraternité Terreur». C’est la princesse de Lamballe décapitée, dépecée, les lambeaux de son corps supplicié exposés à l’étal des bouchers. Ce sont les charrettes de prêtres réfractaires allant à l’échafaud et soumis aux derniers outrages. Et ce sont ces massacres de Septembre, dont mon ami Jean-Claude Milner a bien montré l’horreur, l’effroi et la hantise qu’ils inspirèrent à Robespierre…
Il n’est évidemment pas question de ça, aujourd’hui, en Europe, en ce début de XXIe siècle. Mais ou bien on réfléchit, ou bien on ne réfléchit pas. Ou bien on prend l’événement au sérieux, ou bien on le traite par le mépris en attendant juste qu’il se radicalise et qu’il pourrisse. Eh bien si, comme on est censé le faire dans cette enceinte, on essaie de réfléchir, et de le faire avec mesure et sérieux, on est bien obligé de se dire que le groupe en fusion n’est pas un argument ; que le peuple n’a pas, et ne peut pas avoir, tous les prestiges et tous les pouvoirs ; et que les institutions sont faites, en République, en démocratie et, plus encore, dans les Républiques bien démocratisées, pour limiter les pouvoirs, tous les pouvoirs, de tous les souverains – y compris, donc, le peuple ou cette fraction du peuple qui prétend couvrir la voix des autres fractions, bloquer le pays et pousser le président à la démission.

Un dernier mot.
Ces slogans de «Macron démission» que l’on a entendus un peu partout.
Et ces quelques centaines de Gilets jaunes qui se sont regroupés place de la Concorde et ont tenté d’arriver jusqu’à l’Élysée.
J’ai entendu les commentateurs dire : «c’est incroyable… c’est sans précédent… on n’a jamais vu, de mémoire de Républicain, la foule arriver si près des grilles de l’Élysée…».
Eh bien, c’est inexact.
Il y a un précédent au contraire.
Il y en a sans doute plusieurs, mais il y en a un qui me vient à l’esprit.
Déjà, une chose.
Ce slogan «à l’Élysée !» que nous avons entendu toute la fin de l’après-midi de samedi et qu’ont relayé en boucle les chaînes d’information, c’est, en 1879, celui des séditieux qui poussaient le général Boulanger à renverser la République.
C’est celui, dix ans plus tard, des «patriotes», ou des «insurgés», qui encourageaient Paul Déroulède, autre peu recommandable personnage, à franchir le Rubicon, à abroger, lui aussi, la République – et eux furent sur le point d’y parvenir.
Mais le vrai précédent, c’est le 6 février 1934 et ce cortège de Ligards, dont tout le monde sait qu’ils ont tenté d’investir l’Assemblée nationale, mais dont on a bizarrement oublié que, n’y parvenant pas, et rebroussant chemin, ils se sont dirigés vers l’Élysée et se sont proposés de l’investir avec des slogans qui n’étaient pas très différents de ceux des Gilets jaunes d’aujourd’hui.
J’ai retrouvé un texte tout à fait extraordinaire.
C’est, mieux qu’un texte, un reportage paru dans un journal français qui s’appelait Vu et qui relate, minute par minute, ces quelques heures où l’on a prétendu aller chercher le président jusque sous les ors de son bureau.
Et il est signé, ce reportage, d’un écrivain qui vient tout juste d’accomplir sa mue vers le fascisme et qui s’appelle Pierre Drieu la Rochelle.
Je n’ai pas le temps, et c’est dommage, de vous le lire.
Mais il nous mène, ce reportage, place de la Concorde où quelques milliers d’hommes «se noient dans les espaces abstraits de la plus belle géométrie du monde».
Il raconte «les cortèges», puis les «barricades», qui se forment au niveau du rond-point des Champs-Élysées, puis de la rue Royale, et où se mélangent «bourgeois et jeunes employés», insoumis «de droite et de gauche» et, donc, «des communistes».
Il montre comment tout ce monde défie les «rangées de cars» postées à la hauteur de l’hôtel de Crillon et «la police tassée et inquiète qui, en un premier temps, semble dépassée par l’événement.
Puis, «le flot» des hommes qui s’engouffrent dans la rue Royale en «se tenant par le bras» et en répétant «nous n’avons pas d’ordres et pas de chefs» !
Puis les mêmes qui, passant de la crainte à l’audace et, chantant La Marseillaise («bien, d’ailleurs» – note Drieu…), tournent dans la rue du Faubourg-Saint-Honoré où les observe, depuis les trottoirs, «une frange épaisse de curieux et de timides».
La police «ne bougeant toujours pas», on marche jusqu’au coin de la rue Boissy-d’Anglas, puis jusqu’à la rue de l’Élysée où stationnent, tout de même, «un peloton à cheval et trois ou quatre lignes de gendarmes mobiles».
Du «quinzième rang» où il se trouve, Drieu a le sentiment de «vivre» alors ce «moment peu croyable», et qui l’exalte au plus haut point, où quelqu’un crie «à l’Élysée !» et où la foule des insurgés reprend le slogan à pleins poumons.
Et le reportage s’achève avec la charge des forces de l’ordre qui n’eurent pas, il faut bien le dire, le sang-froid de celles d’aujourd’hui et qui l’obligèrent, lui, Drieu, «pris d’une forte trouille», à «refluer vers la rue d’Aguesseau  et à «s’engouffrer avec d’autres dans la rue des Saussaies».
Comparaison n’est pas raison.
Mais si je vous cite ce reportage, si je souligne l’hallucinante similitude, à la fois politique et topographique, entre ces deux scènes qui se situent à presque un siècle d’écart et qu’on croirait survenues le même jour, c’est parce que les murs n’ont peut-être pas d’oreilles, mais que les pavés ont de la mémoire – non moins que les mots, les slogans et les formules, de notre langue.
Quand on crie «à l’Élysée !» ou «Macron démission !», quand («bon enfant» ou pas…) on prétend forcer les grilles du «Palais» où est censé se situer le lieu de tous les pouvoirs, je crois qu’on joue avec le feu – celui de la mémoire et celui de la langue.
La France en est là.
Ce mouvement des Gilets jaunes peut, naturellement, bien tourner et contribuer à cette réinvention de la politique et de la citoyenneté dont nous avons si cruellement besoin.
Mais il pourrait aussi contribuer au repli de la France sur elle-même, au renoncement à sa propre grandeur et à un endormissement des intelligences qui, le plus souvent, enfante des monstres.

18 Commentaires

  1. Le pourrissement, ça marche avec les grèves générales. Aujourd’hui, les sous-payés ont les moyens d’occuper leurs week-ends moroses à faire dévisser l’État sans pour autant que leurs poches ne se crèvent davantage. Le Samedi noir pourra ainsi warholiser ses dégradations jusqu’à plus ample dégradé. Il s’outrenoircira dans l’espoir qu’un sursaut lumineux traverse les pouvoirs. Le Premier ministre sera-t-il confronté à un conflit asymétrique dit spontané, à l’occasion duquel des militaires français, pris pour cibles par des Goliath déguisés en David, seront scrutés à la loupe par une intelligentsia post-maoïste bien emmerdée de ne pouvoir justifier ses crimes de jeunesse en venant en appui à une alliance rouge-brun que ne saurait emboîter qu’une haine viscérale pour les libertés individuelles? Sera-t-il contraint de boycotter l’hôtel de Matignon en signe de protestation contre des décisions éminemment responsables dont les effets non moins sanglants l’auront éclaboussé? Nous l’exhortons, quoi qu’il arrive, à mettre son pays au diapason des droits fondamentaux. Les méthodes de l’ETA n’ont rien à faire au sein d’un mouvement qui se targue d’assainir le fonctionnement des institutions d’une démocratie représentative. On ne terrorise pas impunément ses concitoyens, fussions-nous le super-héros d’une désorganisation en zone grise. La question du creusement des inégalités est beaucoup trop grave pour que nous laissions une poignée de selfistes, hyper gonflés par la surpiqûre des réseaux sociaux, l’endiguer sur la voie de garage d’une crise d’adolescence.

  2. mon pauvre… décidément vous n’y comprenez absolument rien. vous êtes donc excusé de fait.

  3. Les Gilets jaunes sont remontés à bloc à l’aide d’un mécanisme représentatif qui, entre autres mérites, donne aux Français un avant-goût de la texture brumeuse que leur attribuerait la proportionnelle intégrale. Des sondés qui, pour les uns, longent comme eux le bord de la falaise du déclassement, pour les autres, semblent éprouver un authentique malaise à l’idée qu’ils pourraient être en partie responsables de la situation des marginaux de la mondialisation, ayant été forcés de les pousser de l’épaule afin de ne pas achever leur course piétinés sur la Grand’Place du commerce international. Les revendications anticonstitutionnelles fusent à travers les chambres comme les assiettes d’une sexagénaire au bord de la crise de nerfs. La Cinquième République nous ferait-elle un chantage au suicide? Pas sûr. Pas évident qu’un élan de compassion envers les autres, voire à son propre endroit, implique une telle mise en abyme du dégagisme. Ô, rageuse, à l’instar de l’autostoppeur de la deuxième moitié des années quatre-vingt que l’on éclaboussait sur la bande d’arrêt d’urgence de crainte qu’il ne s’agît d’un serial killer, aurais-tu casté Emmanuel Macron pour le rôle-titre d’un remake de L’Arroseur arrosé? Ô, mon siècle disjonctant des Lumières, en serais-tu à réclamer une cohabitation de type Macron-Trump ou Macron-Maduro dans l’objectif jobard de transformer ton no man’s land boueux en sables mouvants? Permets-moi d’en douter. On ne saurait exiger une série de mesures immédiates en faveur du pouvoir d’achat de la part d’un pouvoir auquel on aurait dénié toute légitimité pour les prendre.

  4. Rappel de rouge : Quand nous, le peuple, nous rappelons au bon souvenir du président de notre République, ne perdons jamais de vue que ce dernier est l’incarnation dudit peuple que nous invoquons, autrement dit, que nous c’est lui.
    Rappel de blanc : Quand un candidat à la présidentielle conquiert le pouvoir, il abandonne son étiquette à l’entrée du palais pour devenir le président de tous les Français, ce qui va lui permettre, au seuil de l’adémocratie, d’en enjamber l’obstacle.
    Rappel de bleu : Quand on sollicite un face à face avec le chef de l’État, on évite de lui dicter la marche à suivre, ça a un petit côté preneur d’otages, or fût-il le plus grand des rançonneurs, un crime contre l’État n’aura jamais le pouvoir d’effacer un crime d’État.

  5. Pour ceux qui auraient quelque difficulté à comprendre comment les enfants gâtés de Léon Blum peuvent se retrouver dans le rouge le 15 du mois, on va synthétiser : les Français moyens vivent au-dessus de leurs moyens. Ils n’ont pas encore digéré l’étendue de leur dégringolade, ce qui, soit dit entre nous, n’a pas échappé à quelques-uns de leurs congénères que l’on qualifiera d’irrésistants face à des proies faciles. Quand la bienveillance feinte surpasse en malveillance l’indifférence décomplexée. Quand un organisme financier vous incite à opter pour un prêt renouvelable à taux faible sans vous prévenir que le second, déjà converti en deuxième qu’il vous faudra souscrire afin de renflouer vos comptes, vous fera bientôt crouler sous l’empilement des intérêts jusqu’au moment panique, inanticipable comme de juste (façon de parler), où votre banquier prendra, pour votre bien, la décision de dénoncer votre carte de crédit. Les Français sont incapables de gérer leurs finances, et pour cause. Par charité, les Trente Piteuses leur tendirent le miroir progressivement régressif d’une civilisation fantôme dont les spectres en culottes courtes ne concevaient pas qu’une vitrine de pâtisserie pût délimiter la ligne de front d’un apartheid social qu’ils croyaient à jamais séquestré à l’intérieur d’une photo jaunie. Ça sent le Drumont. Pas étonnant, puisque ça ressemble de plus en plus à du Zola.

  6. Si vous parvenez à le faire lâcher maintenant, vous l’aurez tellement décrédibilisé qu’il sera contraint de lâcher sur toutes les réformes inscrites à son calendrier pendant tout le reste du quinquennat. Impayable Ruffin! C’est à se demander si le Dormeur debout ne roule pas pour le Marcheur à bout. Au cas où le monarque républicain se chercherait un mobile imparable pour tenir le cap sur la hausse des taxes, le complot à ciel ouvert fomenté par son fou vient de le lui fournir. À moins que, bon sang de bois! suivi d’un «Non» emphatique à la Philippe Noiret. Ne me dites pas que la plus grande peur de La France insoumise soit de voir le premier des Français reculer sur un point de réforme pour mieux transiter vers les autres? Eh oui. De fait, le substitut de Dieu du peuple régicide aurait la possibilité de raisonner, jusqu’à la fin de son mandat, des pousseurs de bouchon qui ne pourraient plus lui reprocher d’avoir été toujours indifférent à leurs souffrances. Merci au double évangéliste Iohanân-Loucas pour ce gain d’espace quadridimensionnel, considérable en termes de fluidité transcendantale, à un moment existentiel de l’histoire de l’Europe.

  7. N’oublions pas que Macron, avant de terrasser Le Pen, avait atomisé le vainqueur de la Belle Alliance populaire. Si ma mémoire ne vous trahit pas, lors de la primaire citoyenne de 2017, la question d’un défaut de paiement partiel de la dette publique avait bien été abordée par le futur candidat socialiste, du moins sa renégociation vis-à-vis des banquiers, lesquels auraient été bien avisés de renvoyer l’ascenseur à un État dont le chef provisoire — rappelez-vous, les psychiatres de comptoir du Sérail nous avaient charcuté quelques images de son cerveau découpé en lamelles — avait su résister à la tentation de s’injecter le virus de la rage en pleine crise financière, afin de faire kracher le morceau, pour les beaux yeux d’un peuple suicidaire, audit nerf de la guerre. Alors cette France, qui se tâte de peur qu’on ne l’efface, en proie au vertige du déclassement, celle des petits fonctionnaires ou auto-entrepreneurs qui, dix ans après 2008, apportent leur soutien angoissé et massif à la masse assommée, pourquoi n’avait-elle pas retenu, au moment où elle s’en octroyait le pouvoir, la proposition anti-austéritaire du Parti socialiste? En raison, grogne-t-elle, de la nature par trop abstraite d’une dette d’État dont les classes médiocres ont fini par se persuader que son intrusion dans les débats concernant leur pouvoir d’achat faisait office d’épouvantail opportuniste, menaçant de punition les membres de la classe unique du Village global qu’on accusait indistinctement d’avoir rejoint le rang des mauvais élèves de l’Europe. Or qui, du grand patronat ou de la masse salariale, des quatre pouvoirs ou de leurs électeurs directs ou indirects, sera tenu responsable de la baisse d’un PIB correspondant au niveau de la dette du pays qui l’affiche et qu’elle n’affiche pas moins? Qui est à l’origine du déficit de compétitivité de la cinquième puissance mondiale? Avons-nous encore quoi que ce soit d’incomparable, d’indispensable à proposer au reste du monde? Sommes-nous seulement capables de faire l’article aux clients de passage, de les fidéliser, de leur offrir un SAV humain et humoriste? Une valeur ajoutée? Ajoutée par chacun? Puisant son énergie dans l’apesanteur de son épanchement?

  8. Si les plus fortunés d’entre nous se sont fixés comme objectif de faire sentir aux plus démunis d’entre eux qu’il existe, ici-bas, des voies d’accès au bonheur qui ne passent pas nécessairement par la réussite matérielle, qu’ils en fassent la démonstration. Le rétablissement de l’ISF est une piste parmi d’autres, moins contraignantes et parfois plus redistributives. Il n’est pas d’orientation économique et financière qui ne s’engouffre dans le sillage d’un projet de société. La moralisation de la vie politique, c’est maintenant.

  9. Si tant est que nous ayons affaire à une pure production de l’esprit. Le fantasme du grand remplacement n’est pas le monopole des nationalistes. Les autres millénaristes verts en ont fait leurs choux gras.

  10. Le dernier homme qui eût osé — lors d’une primaire première du genre — dégainer le thème choc de la redistribution du PMB, fut hélas écarté la fois suivante, par lui-même et, peut-être, un peu plus que ça, du rodéo des relations internationales. La sortie du tunnel n’est pas sans conséquences sur les Lumières pour des pays que les géopolitologues du XXe siècle qualifiaient de sous-développés, avant qu’on ne les rebaptisât «pays en voie de développement», pour enfin se fixer sur le spielbergien et non moins périlleux participe «émergent», périlleux au sens où ce dernier nous ressert la notion de péril après deuxième cuisson… savoir un brin moins bleu. Le droit de migrer ne sera pas le cache-sexe d’une Organisation incapable de remplir son devoir de protéger les peuples que reprendront pour cibles des criminels contre l’humanité dont le très noble principe de souveraineté se sera rendu complice. Au lieu qu’ils se vanteront de savoir poser un pansement sur une jambe de pirate, nous défendrons le droit international des hommes à migrer de leur plein gré. La liberté de circulation ne nous exonèrera pas d’un attentisme que le multilatéralisme des lâches peine à dissimuler. Le bon accord multilatéral induirait des signataires de bonne foi, et pour cause. Le yaltisme a montré ses limites, les rideaux de fer les leurs. Parce que la transition énergétique ne pourra pas contrer à elle seule la courbe orgasmique des déplacements de populations contraints, préparons-nous à intégrer dans la fiscalité des pays riches une aide accrue aux pays pauvres.

  11. Défendre le libéralisme face aux templiers de l’antiglobalisation, cela implique une capacité à anticiper les plaintes des victimes du système en s’appuyant sur un protocole d’évaluation perpétuelle des facteurs de stabilisation sociale ne focalisant pas sur les dérivées matérialistes du miracle de la multiplication des pains, et réfutant a priori le concept panthéiste de la croissance infinie des ressources naturelles.

  12. Le problème de la reproductibilité des élites n’a pas été réglé. Pas davantage d’ailleurs que la fugueuse question de la moralisation du système de répartition du produit mondial brut telle que promise, en s’épongeant le front, aux bombes humaines à retardement amorcées par la crise des subprimes. «La politique c’est du show-business», scandait l’inénarrable Charles Denner dans une Cocotte-Minute plus culte que culte. On en exploserait de rire, par politesse comme dirait un autre désespéré flamboyant, si nous n’étions pas conscients de la manne pyrologologique dont nous asperge un aussi bel objet de désespoir. La représentativité d’un statut ne devrait jamais être appréhendée par celui qu’on en drape comme un pouvoir confiscatoire. Le représentant du peuple n’est pas, à proprement parler, un hiérarque. S’il est un porte-voix pour les sans-grades, la raideur de sa nuque les incitera à se redresser, son aptitude à l’inclination leur évitera le ridicule d’une croyance persistante dans un faux paradigme. Si, d’un autre côté, il se sent propulsé par un instinct de pédagogue, qu’il s’entraîne dès maintenant à combattre les accès d’animosité auxquels pourraient le conduire les évasions mentales du surdoué Honoré de Balzac, expulsé du Collège à 14 ans, injustement éjecté d’un monde épris du pressant besoin qu’un univers, qui le dépassait, revînt régler ses comptes avec lui.

  13. 1. Pourquoi l’obsolète obsession de la baisse du chômage ne suffira pas à éclairer la route obscurescente des accidentés de la globalisation = 2. Quel pourcentage de travailleurs pauvres un État de droit prétendant au titre de puissance mondiale pourra-t-il s’aviser de produire?

  14. Nul n’est mieux placé qu’un spécialiste de La Recherche pour traiter, avec tout le mépris qu’elle mérite, une théorie de la lutte des classes faisant passer par pertes et profits la structure mentale d’une espèce dont les pulsions croniennes fractalisent les frustrations et instaurent, dans tous les secteurs de la société, des voies de compensation observant ce schéma dominant-dominé dont nous savons qu’il a toujours traduit une volonté, parfois impénétrable, d’assouvir tant les fantasmes d’un(e) grand(e) patron(ne) que ceux d’un(e) prolétaire, pétris l’un(e) comme l’autre d’un engrenage de stimuli contradictoires, en proie aux mêmes sensations ou autres sentiments de précarité ultime face aux questions principielles demeurées sans réponses rassasiantes. Le proustien riche et le proustien pauvre sont pris au piège d’une société de classes dont les lois sont aussi provisoires que l’étaient celles du système d’ordonnancement civilisationnel dans les cendres duquel s’érigea son modèle. Leur groupe les marginalise, quel que soit leur positionnement sur l’échelle sociale, dès lors qu’il est aussi rare pour l’un et l’autre de se retrouver coincé dans une pièce avec un interlocuteur qui ne se met pas à bâiller au bout de vingt secondes après qu’ils ont pris la parole, que de se rencontrer l’un l’autre autour d’une piquette ou d’un grand cru. Il serait tout aussi aventureux d’étendre le concept attalien de nomadisme moderne au paradigme onuso-préhistorique des grandes migrations originelles. Le citoyen du monde hyperconnecté est d’abord un homme du monde hypercultivé. S’il revendique le droit d’être partout chez lui, c’est pour avoir conquis des connaissances universelles grâce auxquelles il ne perd la boussole nulle part. À des années-lumière, donc, de ce que représente, en matière de potentialités universalisables, notre migrant du XXIe siècle. Quand Attali annonçait un futur ou seule une infime minorité de privilégiés aurait la possibilité de sillonner un village planétaire auquel leurs milliards de congénères n’auraient accès que sous perfusion virtuelle, nous touchons du doigt la ligne de fracture civilisationnelle qui nous sépare d’un temps harmonieux de l’humanité nécessitant un degré de compréhension optimal des techniques aptes à servir au mieux l’inspiration des membres de la Philharmonie mondiale. Nous, grands ou petits acteurs de palais et passeurs de relais, sommes condamnés à jouer ensemble selon des règles qui, si elles encouragent la polyrythmie et la polytonalité, ne se risqueront pas à restaurer le furibond royaume des Dissonances, à moins que l’un de ses nobles frottements, annonciateur d’un entrechoquement fatal, ne produise sur l’Acommunauté un effet salvateur. Cet objet d’anticipation mériterait, c’est peu de le dire, beaucoup mieux qu’une interprétation bâclée.

  15. Aussi encline à l’autosabordage qu’une mutinerie des écoutilles, le mouvement des Gilets jaunes n’en surfe pas moins sur un malaise du grand fondement. Son carburant : une haine consommée pour la politique de collaboration avec ledit fascisme libéral, retour à l’envoyeur du boomerang antitotalitaire. Le creusement des inégalités justifie, pour un système d’éclairage universaliste, les doléances d’une partie de la société que l’on repousse dans l’ombre après lui avoir fait sentir une source de chaleur plus gaie que nature. Autant celle-ci aurait tort de ne pas compter sur nous comme sur un efficient allié, autant nous nous verrions dans l’obligation de nous désolidariser de son refus de renvoyer les balles que Macron a la bonté de rattraper au vol, quand il serait si facile pour un champion de sa trempe de les laisser sortir du périmètre de la bonne moitié de court. À première vue, le Président a bien compris que ses compatriotes les plus remontés contre Bruxelles n’ont plus du tout envie de jouer. Voilà pourquoi il ne s’embarque pas dans la vaine entreprise que représenterait le fait de convoquer l’intérêt général à la répétition éponyme d’un spectacle auquel il ne souhaiterait pas même participer en tant que spectateur. Faut-il pour autant que le garant suprême des institutions permette qu’une minorité d’électeurs déçus l’empêche de remplir l’impossible mission dont une majorité de Français l’ont sciemment investi, mission portant sur l’impérieux sujet de la refondation de l’Union européenne, lequel sujet embrasse l’épicentrale question de la consolidation des bases socio-économiques d’une Pax Populi, que l’on voudrait mondiale? L’État macronien propose aux peuples un partage des responsabilités qui aurait pour finalité l’irrigation des territoires perdus de la mondialisation par les grandes métropoles régionales, nationales et continentales, mondialisées a priori. Vaste chantier, nécessitant un retroussage de manches dont la spontanéité procédera de la transversalité. La pâte participative de la démocratie ne prendra pas avant que toutes les mains, des plus calleuses aux plus manucurées, s’y soient frottées en y plongeant. Elle ne lèvera pas davantage sous l’effet désastreux d’un transfert d’incompétences. De fait, la destitution du président de la République disqualifierait les prétendus réparateurs de la démocratie réelle dont nous serions bien incapables de borner la silhouette à partir des ombres floconneuses, pas inquiétantes pour un sou, qu’on en projette sur le sol. Dès lors que la minorité non présidentielle d’une élection au suffrage universel tiendrait pour légitime de contester le verdict des urnes par un blocage du cœur et des poumons du pays dont elle briguerait la gouvernance, elle s’exposerait au même type de réaction de la part de ses opposants suite à son coup d’État. On ne sauve pas la démocratie par le suicide du pluralisme, or la diversité de l’offre politique implique le respect du choix populaire. Les Français n’ont pas voté Macron le pistolet sur la tempe. J’irai plus loin en affirmant que, s’ils ont eu la possibilité de choisir de ne pas élire Hamon, Fillon, Mélenchon ou Le Pen, cela participe principalement du fait que, depuis la Libération, aucun parti politique français n’a jamais imaginé pouvoir atteindre les portes de l’exécutif ou du législatif en tranchant le nez d’un électeur récalcitrant. Pour ce qui est du référendum jaune-brun sur la légitimité d’Emmanuel Macron en tant que président de la Ve République auquel ont abouti les revendications initiales de la masse au rire jaune, j’y vois plutôt un appel au changement de Constitution. Or ce référendum eut lieu en mai 2017, où les Français optèrent pour la continuité. Si à la moindre réforme impopulaire, fût-elle assassine pour une portion de la France invisible, audible malgré tout et pouvant exploiter ses talents gâchés afin d’engager un bras de fer avec l’État de droit quand ce dernier omet de vérifier s’il est toujours à sa propre hauteur, si au premier ultimatum que nous nous lancerions à Nous-Même, dis-je, nous en venions à mettre en cause l’ADN même de nos institutions, c’en serait fait de la stabilité d’une République dont nous oublions parfois qu’il nous fallut attendre presque deux siècles avant d’en mesurer le quotient d’élasticité capable de nous doter d’amortisseurs adaptés à son régime alternatif, lequel transmute selon que la majorité demeure parlementaire ou devient présidentielle. Sur ce point-là aussi, les Français eurent tout récemment la possibilité d’exprimer, sinon leur attachement au régime gaullien, du moins leur défiance à l’égard d’une déprésidentialisation tétrarépublicaine propice à la décapitation en chaîne.

  16. Ce texte de BHL illustre à quel point la distance se creuse entre ceux qui se croient au dessus du peuple et qui théorisent sur un mouvement qui est exactement à l’opposé de cette tentative d’explication alambiquée , faite de références historiques et littéraires iconoclastes absolument pas adaptées à la nouveauté, à l’originalité, à la spécificité et à l’actualité de ce mouvement social!… Ce chantre de la bobologie Parisienne intellectuelle fait l’apologie d’une certaine France de Macron et s’offusque que les gilets jaunes s’en prennent à ce Président, ce qui confirme qu’il n’a rien compris et qu’il est complètement hors-sol ainsi que les élites qui dirigent notre pays !…